VISION
Traitement visuel normal
Le traitement visuel implique un relais des signaux de la rétine via le noyau géniculé latéral vers le cortex strié (zone V1). Dans le cortex visuel lui-même, il existe initialement une forte localisation rétinotopique, de sorte que les lésions striées occipitales entraînent des déficits limités à des segments du champ visuel. Le cortex visuel extrastrié est organisé davantage par processus que par localisation du champ visuel, c’est-à-dire que différentes zones du cortex extrastrié sont impliquées dans la perception des couleurs, des mouvements, etc. Les déficits extrastriés entraînent donc des déficits dans certains aspects de la vision, comme la perception du mouvement, affectant l’ensemble du champ visuel.
De manière générale, les régions extrastriées se regroupent en deux courants : le courant ventral occipitotemporal « quoi » est impliqué dans la reconnaissance des objets, tandis que le courant occipitopariétal « où » est impliqué dans le traitement spatial3. Le courant ventral passe sous la fissure calcarine dans le lobe temporal médian, tandis que le courant dorsal s’étend de manière supéro-externe depuis le cortex strié dans les zones occipitopariétales et temporopariéto-occipitales.
Les déficits du traitement visuel, et comment les tester
Les déficits de l’attention visuelle peuvent entraîner une négligence, par laquelle l’attention n’est plus dirigée ni vers soi – c’est-à-dire une partie du corps – ni vers des objets extérieurs tels que la nourriture dans une assiette.
La négligence concerne presque toujours l’hémichamp gauche (figures 2 et 3). Cela s’explique par le fait que l’hémisphère gauche surveille l’hémisphère droit, alors que l’hémisphère droit surveille les deux hémisphères. Une lésion de l’hémisphère gauche permettra toujours à l’hémisphère droit de surveiller l’ensemble du champ visuel, d’où l’absence de négligence. En revanche, avec une lésion de l’hémisphère droit, l’hémisphère gauche ne surveille que l’hémisphère droit ; par conséquent, en raison du manque de surveillance de l’hémisphère gauche, une négligence du côté gauche se produit.
Les lésions de l’hémisphère gauche n’entraînent aucun déficit du champ visuel, tandis que les lésions de l’hémisphère droit entraînent une négligence à gauche.
Rehaussement gyriforme droit de l’infarctus pariétal droit.
L’inattention et la négligence sensorielles peuvent être évaluées cliniquement par l’examinateur en déplaçant un, l’autre ou les deux doigts dans les hémichamps droit et gauche et en demandant au patient quel doigt a bougé. En cas d’extinction visuelle, le patient notera le déplacement de l’un ou l’autre doigt séparément, mais ne détectera que le doigt dans son hémichamp droit lorsqu’il est présenté simultanément. Ceci est dû au fait que le stimulus ipsilésionnel « éteint » le stimulus contralésionnel de la conscience. De même, les tâches de bissection de lignes peuvent être utilisées en clinique (fig. 4), tout comme les tâches d’annulation de lettres dans un tableau visuel. Dessiner un cadran d’horloge est un autre test utile (fig 5).
Le patient négligent ne « voit » pas la moitié gauche de la ligne, donc quand on lui demande de mettre une croix à mi-chemin de la ligne, il la met à mi-chemin de la ligne « vue », c’est-à-dire aux trois quarts de la ligne.
Cadran d’horloge illustrant la négligence. Le patient n’est pas capable de s’occuper de l’hémisphère gauche, et met tous les chiffres sur la moitié droite du cadran d’horloge.
L’anosognosie fait référence à l’incapacité du patient à reconnaître consciemment la présence d’un dysfonctionnement somatique indicatif d’un processus pathologique. Les patients atteints d’hémiplégie gauche causée par un accident vasculaire cérébral peuvent être totalement inconscients de leur déficit. L’anosognosie tend à se produire principalement, mais pas exclusivement, avec des lésions pariétales non dominantes et est considérée comme un trouble de l’attention plutôt que de la perception.
Passant ensuite à la perception visuelle elle-même, il est clair que la rétine, la pathologie du nerf optique ou toute lésion du système allant de la rétine au cortex visuel primaire en passant par le noyau géniculé latéral affectera la vision. Bien que nous soyons concernés par les déficits visuels d’ordre supérieur, de telles conditions confondantes doivent être exclues dans le cadre de l’évaluation et de l’examen général.
Les lésions des flux ventraux ou dorsaux du traitement visuel peuvent donner lieu à des déficits cliniques différents. Les lésions du flux ventral (fig 6) peuvent produire des défauts tels que l’agnosie d’objet, la prosopagnosie, l’alexie et l’achromatopsie, tandis que les défauts du flux dorsal (fig 7) incluent l’akinétopsie et le syndrome de Balint. Ceux-ci seront discutés plus loin.
Lésion du courant ventral : tomodensitométrie (TDM) montrant un infarctus de l’artère cérébrale postérieure gauche.
Lésion du courant dorsal : Tomodensitométrie montrant un méningiome pariétal gauche.
Troubles du courant ventral
Agnosies
Le terme agnosie est utilisé pour décrire une incapacité spécifique à une modalité d’accéder à la connaissance sémantique d’un objet ou d’un autre stimulus qui ne peut être attribuée à une altération des processus perceptifs de base – c’est-à-dire qu’elle concerne un percept normal dépouillé de sa signification. Les agnosies peuvent s’appliquer à n’importe quelle modalité sensorielle, mais nous traiterons ici en premier lieu des agnosies visuelles.
Les agnosiques visuels ne peuvent pas reconnaître par la vue des objets qu’ils auraient préalablement connus. Ils ne peuvent ni produire des informations sémantiques d’identification uniques, ni nommer le percept. L’agnosie visuelle est parfois subdivisée en agnosie visuelle apperceptive, où un déficit de la perception de haut niveau est impliqué (généralement infarctus occipito-temporal bilatéral étendu), et en agnosie visuelle associative, où la perception de haut niveau est préservée mais où le percept est incapable d’activer des informations sémantiques d’identification (généralement lobe temporal antérieur gauche). Le terme d’agnosie visuelle se limite à l’incapacité d’accéder aux informations sémantiques par le biais de la modalité visuelle uniquement, les connaissances sémantiques conservées étant accessibles par d’autres modalités telles que l’auditif. L’agnosie visuelle dite associative implique souvent une perte plus générale des connaissances sémantiques, sans possibilité d’y accéder par une quelconque modalité sensorielle.
Une agnosie visuelle généralisée peut survenir lors d’une insulte hypoxique diffuse, comme dans le cas d’une intoxication au monoxyde de carbone. Cependant, des agnosies plus sélectives peuvent également survenir. En effet, les déficits peuvent altérer sélectivement la capacité à identifier les mots ou les visages (c’est-à-dire la dyslexie et la prosopagnosie, respectivement), et peuvent survenir lors de lésions temporales focales (fig 8).
Image par résonance magnétique (IRM) axiale montrant une atrophie bilatérale du lobe temporal antérieur dans la démence sémantique.
Tests de l’agnosie visuelle
Les tests cognitifs au lit du malade comprennent la dénomination des objets et la capacité à fournir des informations sémantiques sur des éléments non nommés. La fonction visuo-perceptive peut être testée en demandant au patient de dessiner l’objet ou de copier un dessin. On peut demander au patient de décrire ce qu’il voit et de mimer son utilisation. Si le fait de tenir l’objet permet au patient de l’identifier là où la vision ne l’a pas fait, cela correspondrait à une agnosie visuelle plutôt qu’à une perte de connaissances sémantiques. (Dans ce dernier cas, l’information d’identification ne pourra pas être fournie quelle que soit la modalité de l’entrée sensorielle.)
Les tests au lit peuvent être utilement amplifiés par une évaluation neuropsychologique formelle. La fonction visuo-perceptive peut être testée par des tests de vues inhabituelles, des dessins de lignes superposées, des images partiellement dégradées ou fragmentées, le jugement de l’orientation des lignes, l’analyse des visages et la correspondance sous différents angles ainsi que la batterie de perception visuelle des objets et de l’espace.
Alexie
Le langage est une représentation symbolique spécialisée du monde qui nous entoure, nous permettant de communiquer nos pensées intérieures avec les autres. En ce qui concerne la perception, on peut accéder au langage par la modalité visuelle ou auditive, à savoir respectivement lire ou entendre la parole.
La lecture est une activité très complexe. Elle nécessite la fixation de l’œil sur le mot écrit, la perception, les mouvements oculaires et le langage central pour permettre la compréhension du mot écrit. Des déficits dans l’un de ces domaines peuvent altérer la capacité de lire – c’est l’alexie. L’alexie peut être périphérique (lorsqu’il y a une difficulté à transmettre le percept visuel aux centres du langage intacts) ou centrale (due à une altération du système du langage) (tableau 1). Parmi les exemples d’alexie périphérique, on peut citer les troubles de l’acuité visuelle dus à des problèmes oculaires, ou un défaut du champ visuel, même si cela n’implique pas de fixation centrale. Les troubles de l’attention visuelle tels que la négligence visuelle peuvent également altérer l’activité de lecture. Par exemple, la dyslexie par négligence fait que le patient est incapable de lire le côté gauche des mots – par exemple, pour SISTER, le patient ne percevra que -TER. Sur le plan moteur, l’altération de la capacité à coordonner les mouvements oculaires, comme l’apraxie oculomotrice ou les intrusions saccadiques, peut également altérer la capacité de lecture.
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Types de dyslexie
L’alexie sans agraphie représente un déficit visuel de haut niveau entraînant une incapacité à lire, et est un exemple de syndrome de déconnexion. Il y a ici une incapacité à comprendre le matériel écrit. Le patient peut écrire ce qu’il a vu, mais il est ensuite incapable de relire ce qu’il a écrit. Il s’agit en quelque sorte d’une forme d’agnosie visuelle spécifique à une catégorie de mots, similaire d’une certaine manière à la prosopagnosie. Le déficit est dû à l’incapacité des informations perceptives du cortex visuel primaire à atteindre les zones du langage, c’est-à-dire qu’elles sont déconnectées. Le patient peut reconnaître les mots épelés à haute voix, ce qui montre qu’il s’agit d’un problème d’accès plutôt que d’un déficit du langage primaire. L’écriture préservée illustre le fait que les voies du cortex visuel primaire vers le cortex pré-moteur et moteur impliqué dans le contrôle des mouvements d’écriture sont préservées. Elle est mieux comprise en se référant à la fig 9.
Figure illustrant le syndrome de déconnexion de l’alexie sans agraphie. Le matériel écrit vu ne peut pas accéder à l’aire de Wernicke, ce qui entraîne l’alexie. Les fibres du cortex occipital vers le cortex moteur sont cependant épargnées, le patient peut donc écrire ce qu’il a vu.
Ce syndrome est souvent accompagné d’une hémianopsie homonyme droite, d’une anomie des couleurs ou d’une achromatopsie, et survient lors de lésions touchant le lobe occipital gauche et les fibres postérieures du corps calleux. Ce syndrome est rare et plus souvent méconnu.
Troubles de la perception des visages
La prosopagnosie désigne l’incapacité du patient à reconnaître une personne simplement en étudiant son visage. Dès lors que d’autres moyens de reconnaissance entrent en jeu (par exemple, si la personne a une voix ou une démarche caractéristique, etc.), cela permet d’accéder à des informations d’identification sémantique uniques – autrement dit, il n’y a pas de perte de connaissance de la personne. La reconnaissance secrète de visages apparemment non reconnus est soutenue par des études de réponses cutanées galvaniques, celles-ci étant plus importantes lors de la visualisation de visages précédemment connus, ce qui implique que l’identification des visages peut se produire à des niveaux inconscients.
La prosopagnosie est mieux comprise en employant les modèles actuels de reconnaissance des visages (fig 10). Elle peut se produire avec une pathologie occipitotemporale ventrale, en particulier du côté droit.4
Un modèle de traitement des visages. La prosopagnosie résulte d’une atteinte des unités de reconnaissance des visages.
Autres troubles de la reconnaissance des visages
Plusieurs autres affections auparavant considérées comme d’origine psychiatrique sont aujourd’hui considérées comme organiques, la neuropsychologie cognitive fournissant désormais des explications plausibles à leur phénoménologie.5
Le syndrome de Capgras est une forme de mésidentification délirante dans laquelle le patient croit que des personnes familières ont été remplacées par des imposteurs. Les tentatives d’explication de cet état font appel aux théories de la reconnaissance des visages. Normalement, on prétend que lorsqu’on regarde un visage, le courant conscient entraîne la reconnaissance, tandis que le courant inconscient peut invoquer des sentiments d’empathie s’il s’agit d’une personne appréciée. Normalement, il n’y a pas de conflit entre ces courants parallèles, et la reconnaissance se produit. On prétend que dans le cas du Capgras, il peut y avoir des dommages aux flux de traitement inconscient. Il peut en résulter une dissociation entre le courant conscient identifiant une personne comme, par exemple, sa femme, et l’absence de sentiments empathiques inconscients. L’absence de concordance entre ces deux courants (c’est-à-dire que la personne ressemble à une épouse mais ne ressent pas d’empathie) peut donc être résolue sur le plan cognitif en affirmant que l’être aimé a été remplacé par un imposteur (ce qui explique la dissonance). Le manque de concordance entre les courants conscients et inconscients a été attribué à une déconnexion entre les courants cognitifs et émotionnels, représentés anatomiquement par le gyrus fusiforme du lobe temporal droit et le système limbique, respectivement.
Le syndrome de Fregoli est le miroir clinique de Capgras en ce que le patient accusera des étrangers d’être une personne familière déguisée. L’intermétamorphose est une condition où le patient, en regardant un visage réel, a une expérience subjective du visage se transformant d’un visage connu en un autre, et on pense que cela représente une activation inappropriée des unités de reconnaissance des visages.
Troubles de la couleur
Les déficiences focales du système des couleurs reflètent les déficits du système sémantique en général. L’achromatopsie fait référence à une perte de la capacité à percevoir les couleurs. Les patients décrivent généralement cela comme le fait de regarder la télévision en noir et blanc. Elle résulte de lésions affectant la région occipito-temporale médiane, en particulier les gyri fusiformes.
L’agnosie des couleurs n’est pas un déficit perceptif (comme le démontrent les tâches d’appariement intactes) mais reflète une perte de la connaissance sémantique des couleurs. Il s’agit en réalité d’un trouble de la mémoire sémantique spécifique à une catégorie de couleurs, et le terme » agnosie des couleurs » est malheureux.
Dans l’anomie des couleurs, il y a à la fois une perception et une connaissance sémantique préservées concernant les couleurs, mais simplement un déficit de la dénomination des couleurs.
Ces déficits peuvent être testés en évaluant la discrimination des couleurs, la connaissance des couleurs et la dénomination des couleurs.
Déficits du courant dorsal
Troubles de la perception du mouvement
L’altération sélective de la perception du mouvement est rare, et tend à être associée à des lésions des zones du cortex visuel extrastrié analogues à V5-c’est-à-dire des lésions bilatérales de l’aire occipitotemporale latérale. Les patients peuvent n’avoir aucune impression de mouvement en profondeur ou de mouvement rapide. Les cibles rapides semblent sauter plutôt que se déplacer. Des difficultés particulières sont rencontrées pour juger de la vitesse et de la direction des voitures.
Troubles de la perception spatiale
Le syndrome de Balint est un trouble de la perception spatiale comprenant trois aspects : la simultanagnosie (incapacité à appréhender une scène complexe dans son intégralité, c’est-à-dire qu’une seule composante de la scène est perçue à la fois), l’ataxie optique (incapacité à atteindre avec la main des cibles présentées visuellement) et l’apraxie oculo-motrice (incapacité à diriger le regard vers une cible visuelle). Les patients se plaignent de difficultés visuelles et peuvent sembler fonctionnellement aveugles. Ils présentent un curieux mouvement de tête de recherche, par lequel ils cherchent leur environnement élément par élément (parfois malheureusement mais précisément comparé aux mouvements de tête d’une poule à la recherche de nourriture). La pathologie est généralement bilatérale et supérieure pariéto-occipitale. Elle peut être cérébrovasculaire par infarctus de » ligne de partage des eaux « , ou neurodégénérative comme dans la variante d’atrophie corticale postérieure de la maladie d’Alzheimer.
Apraxie de l’habillage et » apraxie » constructive
De façon déroutante, il ne s’agit pas d’apraxies à proprement parler, mais plutôt de déficits visuospatiaux se traduisant par une difficulté à s’habiller et à dessiner. L’apraxie de l’habillage peut être testée en demandant au patient d’enfiler une veste dont les manches ont été délibérément retournées. Les tests au lit de l’apraxie constructive consistent à dessiner des pentagones superposés, le cube de Neckar ou un cadran d’horloge. Les lésions de l’hémisphère gauche entraînent des dessins simplifiés, tandis que la pathologie de l’hémisphère droit entraîne une « explosion » des éléments constitutifs du dessin.
Autres déficits d’ordre supérieur de la vision
Topographagnosie
Se perdre dans un environnement familier peut être dû à des déficits des cortex d’association visuelle ventraux ou dorsaux.
Syndrome d’Anton
Il s’agit d’une forme d’anosognosie limitée à la vision, dans laquelle le patient nie l’existence d’un trouble visuel alors qu’il est fonctionnellement aveugle. Il est associé à une pathologie affectant le cortex visuel primaire.
L’aveuglement
L’existence de cet état est contestée, mais on prétend que dans le contexte d’une cécité causée par une lésion du cortex visuel primaire, une fonction visuelle résiduelle inconsciente peut se produire, desservie par des structures sous-corticales telles que le noyau géniculé latéral.
Gain visuel
Le gain pathologique de la fonction visuelle peut entraîner des phénomènes positifs, c’est-à-dire des hallucinations6. Les hallucinations visuelles sont un indice fort de maladie organique. Les causes fréquentes sont l’état confusionnel aigu et la maladie à corps de Lewy.
Syndrome de Charles Bonnet
Il comprend des phénomènes visuels positifs survenant dans des zones de déficit du champ visuel, que celui-ci soit total ou partiel. Il survient souvent chez les personnes âgées à la suite d’une pathologie oculaire – par exemple, une dégénérescence maculaire liée à l’âge. Les images ont tendance à être complexes (par exemple. des animaux, des personnes) et la perspicacité est généralement conservée.
Hallucinose pédonculaire
Suite à un accident vasculaire cérébral moyen, des hallucinations vives peuvent survenir, qui ont tendance à se produire le soir et à disparaître au fil des semaines.