Nationalisme, autodétermination et sécession

L’idée d’un droit à  » l’autodétermination collective  » est difficile à saisir – comment un groupe, par opposition à un individu, peut-il avoir un  » droit  » ? Affirmer qu’une nation a le droit à l’autodétermination revient, selon certains, à négliger ce que sont les droits et qui peut les revendiquer.

« L’autodétermination » a une consonance positive – comment pourrait-on s’y opposer ? L’idée d’autodétermination a de fortes résonances dans la théorie politique, remontant jusqu’à Hobbes, du moins en Angleterre. Au fil des siècles, les sociétés européennes sont devenues de plus en plus individualistes et l’idée de jugement et de liberté individuels s’est progressivement imposée. Dans les œuvres des grands théoriciens politiques européens des XVIIe et XVIIIe siècles, l’idée que les individus consentent – choisissent, volontairement – les restrictions gouvernementales à leur liberté est cruciale. Les théoriciens politiques parlent souvent de l' »autonomie » comme d’un principe, soulignant l’importance d’individus distincts, rationnels, pensant et choisissant, au cœur de la vie politique. L’idée d’autodétermination obtient une grande partie de sa résonance et de son attrait, je suggère, parce qu’elle exploite cette veine profonde de la pensée sur les droits individuels, l’autonomie et la liberté qui traverse le corps politique occidental jusqu’à aujourd’hui.

Cependant, cette tradition concerne l’autodétermination individuelle. Même si c’est un principe auquel nous pourrions tous adhérer, le transférer sans critique à un groupe ou à un contexte collectif crée des problèmes. Peut-on dire d’un groupe qu’il a une « volonté », ou qu’il est « rationnel », d’une manière analogue à celle d’un individu ? Un groupe peut-il prendre des décisions, par exemple sur la façon de vivre ou avec qui vivre, avec le même type de conviction et de clarté qu’un individu (parfois) ? Le problème est que, dans un grand groupe, il n’y a souvent pas d’opinion unanime sur une question donnée. Combien de membres d’un groupe potentiel devraient vivre ensemble dans une communauté politique pour rendre cette communauté si légitime qu’elle pourrait être imposée aux dissidents ? Par exemple, s’il y avait 51 % de votes en faveur d’un Québec indépendant, cela suffirait-il pour justifier son imposition à la grande minorité de la province qui s’oppose à la sécession du Canada ? Si le pourcentage était de 70 %, cela ferait-il une différence ? Dans quelle mesure une minorité dissidente, qui veut une communauté différente, doit-elle être importante, active ou bruyante pour contester efficacement cette légitimité ? Je reviendrai plus loin sur certaines questions relatives aux majorités et aux minorités ; ce que je veux dire en premier lieu, c’est que l’idée même d’autodétermination collective est problématique. Ses partisans ne peuvent pas s’appuyer facilement sur le lien linguistique de cette idée avec la notion d’autodétermination individuelle. Peut-être les liens entre les deux sont-ils plus rhétoriques que substantiels.

L’autodétermination collective pourrait signifier diverses choses, mais surtout aujourd’hui l’autodétermination nationale : l’idée que chaque  » nation  » devrait être autonome, c’est-à-dire qu’elle devrait avoir son propre État. Ainsi, par exemple, les Palestiniens se considèrent comme une nation et cherchent à obtenir leur propre État indépendant afin de pouvoir s’autogouverner et de ne pas être soumis à la gouvernance d’Israël (ou de tout autre État). De nombreux Québécois – principalement ses francophones non immigrants – considèrent que leur loyauté politique première est envers la nation québécoise, et ils aimeraient vivre dans un Québec qui est un pays indépendant aux côtés du Canada, plutôt que d’être une province au sein du système fédéral canadien.

Il convient de noter que ce tableau assez simple aplanit certaines exceptions et complications importantes. L’autodétermination collective ne signifie pas nécessairement un statut d’État pur et simple. Elle pourrait plutôt signifier une certaine forme d’autonomie ou d’auto-gouvernement au sein d’un autre État. De nombreux Québécois sont fédéralistes, plutôt que nationalistes ; pour diverses raisons, ils préfèrent que le Québec reste au sein du Canada, même s’ils sont favorables à des pouvoirs autonomes considérables pour le gouvernement de la province et à une reconnaissance spéciale de sa culture francophone. Récemment, les partis et les dirigeants kurdes ont largement accepté que les régions à prédominance kurde en Irak, qui pourraient potentiellement faire partie d’un État indépendant du Kurdistan, soient plutôt des régions semi-autonomes au sein de l’Irak fédéral de l’après-Saddam (voir Guibernau, 2005, sur les définitions du fédéralisme). Il s’agit toutefois d’exceptions à la règle selon laquelle l’autodétermination nationale est normalement une aspiration au statut d’État.

L’idée d’autodétermination nationale s’est d’abord imposée dans le cadre des plans du président américain Woodrow Wilson pour reconstruire l’Europe après la Première Guerre mondiale. Ses célèbres Quatorze points, lors de la conférence de l’Armistice en 1918, ont mis en marche un processus d’autodétermination nationale à travers le continent déchiré par la guerre. La Grande Guerre avait détruit l’empire austro-hongrois, l’Allemagne et les empires russe et turc. Il fallait trouver une nouvelle façon d’organiser le gouvernement de la région. Wilson se voyait impliqué dans un processus de construction de nations et, en effet, de nombreux nouveaux États ont été créés à partir des anciens empires. Certains, comme la Pologne, étaient des États basés plus ou moins sur un groupe ayant une culture commune reconnaissable et ressentie. D’autres, comme la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, étaient des États multi-nations, qui se sont dissous dans les États-nations constitutifs plus récemment (entre 1992 et 2003, la Yougoslavie a éclaté en Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et Serbie-Monténégro ; en 1992, la Tchécoslovaquie s’est divisée en République tchèque et en Slovaquie lors de la « révolution de velours »).

Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’autodétermination nationale a accompagné le processus de décolonisation. À travers l’Asie et l’Afrique, au cours des années 1950 et 1960, plusieurs nouveaux États indépendants ont été formés à partir des anciens empires britannique, français, belge, néerlandais et portugais. Cette vague a généralement gardé intactes les unités politiques qui, ensemble, constituaient les empires ; bien qu’il y ait eu des exceptions majeures, comme l’éclatement de l’Inde en deux États, l’Inde et le Pakistan (et plus tard en trois États, le Pakistan oriental devenant le Bangladesh en 1971).

Le sens et l’application de l’idée d’autodétermination nationale ont évolué au cours du XXe siècle. Plus récemment, comme nous l’avons noté, après la fin de la guerre froide, il y a eu un fort regain d’intérêt pour l’autodétermination nationale parmi les théoriciens politiques et les théoriciens du droit international. Aujourd’hui, alors que de nombreuses  » nations sans État  » affirment leur droit à l’autodétermination, que peut nous dire la théorie politique sur l’identification des nations et la spécification des principes (et des pratiques) d’autodétermination nationale ?

  • L’autodétermination nationale est un type d’autodétermination collective.
  • L’idée d’autodétermination collective tire une grande partie de sa force de l’analogie avec des idées profondément ancrées d’autodétermination ou de liberté individuelle ; mais passer trop facilement de l’individuel au collectif peut être problématique.
  • Une demande d’autodétermination nationale peut ne pas être une demande d’étatisation pure et simple.
  • L’idée d’autodétermination nationale a pris une importance particulière après la Première Guerre mondiale.
  • L’intérêt des théoriciens politiques a été ravivé par les demandes nationalistes pressantes en Europe de l’Est et ailleurs après la fin de la guerre froide.

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