Les hommes qui, en neuf mois, de septembre 1814 à juin 1815, redessinent la carte de l’Europe sont des diplomates de la vieille école. François Ier et le prince von Metternich d’Autriche, Frédéric-Guillaume III et le prince von Hardenberg de Prusse, Alexandre Ier de Russie, le vicomte Castlereagh d’Angleterre, Talleyrand de France et les représentants des États secondaires étaient tous des héritiers intellectuels du XVIIIe siècle. Ils craignaient les principes de la Révolution française, méprisaient les théories du gouvernement démocratique et s’opposaient aux doctrines de l’autodétermination nationale. Mais ils reconnaissaient que les frontières et les gouvernements de 1789 ne pouvaient être restaurés sans modification ni compromis. Il y avait eu trop de changements dans les attitudes et les loyautés que les dogmes rigides du légitimisme étaient impuissants à annuler. La tâche des pacificateurs était donc d’établir un équilibre sain entre la réforme nécessaire et la tradition valable, capable de préserver la tranquillité dont l’Europe avait désespérément besoin. Les décisions concernant l’Allemagne prises lors des délibérations de Vienne suivirent une voie moyenne entre innovation et réaction, évitant aussi bien une fragmentation extrême qu’une centralisation rigide. La Confédération du Rhin n’est pas maintenue, mais le Saint Empire romain germanique n’est pas non plus restauré. Bien que les réformes introduites pendant la période de domination étrangère aient été partiellement révoquées, les pratiques du despotisme éclairé n’ont pas été entièrement rétablies. Malgré les plaintes des légitimistes inflexibles et les prédictions désastreuses des réformateurs déçus, les pacificateurs ont réussi à créer un nouvel ordre politique en Allemagne qui a perduré pendant un demi-siècle. Aux longues années de guerre et de troubles qui avaient convulsé l’Europe à l’époque de la Révolution française et de Napoléon ont succédé des années encore plus longues de stabilité et de tranquillité.
L’Allemagne qui émergea en 1815 du Congrès de Vienne comprenait 39 États dont la taille variait des deux Grandes Puissances, l’Autriche et la Prusse, aux villes libres de Hambourg, Brême, Lübeck et Francfort-sur-le-Main, en passant par les royaumes mineurs de Bavière, Wurtemberg, Saxe et Hanovre, par de plus petits duchés comme Baden, Nassau, Oldenburg et Hesse-Darmstadt, par de minuscules principautés comme Schaumburg-Lippe, Schwarzburg-Sondershausen et Reuss-Schleiz-Gera. Les nouvelles frontières de l’Allemagne ressemblent peu à la mosaïque territoriale déconcertante qui avait été maintenue sous le Saint-Empire romain germanique, mais il y a encore de nombreux fragments, subdivisions, enclaves et exclaves, trop nombreux au goût des nationalistes ardents. Pourtant, le schéma général des frontières des États représentait une amélioration significative par rapport au patchwork chaotique de souverainetés et de juridictions qui avait caractérisé l’ancien ordre. Les pacificateurs ont non seulement créé des entités politiques plus intégrées et plus viables, mais ils ont également modifié le rôle que ces entités devaient jouer dans les affaires de la nation. Sans que Frédéric-Guillaume III ne le veuille ou ne le sache, son royaume de Prusse occupe une position centrale en Allemagne. Les puissances victorieuses, en garde contre une reprise de l’agression française, décident de faire de la Prusse le défenseur de la frontière occidentale de l’Allemagne. La Rhénanie et la Westphalie, y compris le district de la Ruhr qui deviendra le plus grand centre industriel du continent, deviennent des provinces prussiennes. Qui plus est, le roi accepte, à la demande d’Alexandre Ier, de céder la majeure partie de ses possessions polonaises à la Russie en échange d’une partie importante de la Saxe. La Prusse, qui, à la fin du XVIIIe siècle, était en passe de devenir un État binational, est repoussée en Allemagne et se voit attribuer une position stratégique sur les deux frontières de la nation. Le centre de gravité de l’Autriche, quant à lui, se déplace vers l’est. François Ier avait décidé d’abandonner le rôle historique de son État en tant que protecteur du Saint-Empire romain germanique contre les Français, afin de gagner en compacité géographique et en capacité de défense militaire. Les possessions du sud et de l’ouest de l’Allemagne sont cédées avec les Pays-Bas autrichiens en échange de territoires vénitiens sur l’Adriatique. L’empire des Habsbourg devient ainsi moins allemand dans sa composition et ses perspectives, tandis que son centre d’intérêt se déplace vers l’Italie et l’Europe orientale. Les conséquences de ce réarrangement territorial allaient être d’une grande portée.