Religion grecque

Ce terme est employé pour désigner l’ensemble des pratiques et croyances religieuses des Grecs anciens à travers leurs centaines de communautés dans le monde méditerranéen et les régions adjacentes. L’étude de la religion grecque antique embrasse la longue période allant de l’époque mycénienne (1600-1100 av. J.-C.) à l’âge de l’empereur Justinien (527-565 ap. J.-C.).

INTRODUCTION

D’emblée, il faut souligner que les Grecs et les Romains de l’Antiquité étaient des gens religieux et des croyants convaincus, et que parmi les Grecs, les Athéniens surtout doivent être caractérisés ainsi. Qu’il suffise de citer le témoignage de saint Paul dans son discours de l’Aréopage, dans lequel le mot latin religiosiores traduirait mieux le grec δεισιδαιμονεστέρους que la Vulgate superstitiosiores (Actes 17.22 ; cf. Festugière,  » Aspects de la religion populaire grecque « , 28).

Religion des masses et des philosophes. Le grec païen différait du chrétien (ibid. 28-29) sur deux points essentiels : il n’avait pas le sens du péché comme offense à Dieu , et il était polythéiste. Sur ce dernier point, il faut faire la distinction entre les masses et les philosophes. Bien que Platon lui-même soit resté polythéiste à bien des égards, depuis l’époque des présocratiques, tant ioniens qu’éléates, toute la philosophie grecque tendait vers le monothéisme, tandis que la religion populaire continuait à tendre vers le polythéisme. En conséquence, la distinction faite entre la « religion populaire » et la « religion des sages ou des philosophes » fournit dans l’étude de la religion grecque une division commode, qui, à la longue, est tout à fait justifiée.

Sources. Les sources elles-mêmes se répartissent en fait en deux catégories, à savoir les monuments archéologiques, épitaphes, inscriptions ex-voto et oracles ; et les œuvres littéraires au sens strict. Ces dernières fournissent rarement des informations détaillées sur les croyances et les pratiques religieuses courantes, sauf lorsque Platon, par exemple, vers la fin de sa vie, entreprend de les codifier dans ses Lois . Mais les sources littéraires ont une signification plus profonde. A. Harnack va jusqu’à dire : « Une dévotion réelle et profonde, telle qu’elle contrôle toute la vie, est certainement une force que l’on ne trouve que chez quelques-uns. Mais c’est à partir de ce petit nombre que l’on doit déterminer la nature de la piété d’une époque, tout comme on doit déterminer l’art d’une période à partir des véritables artistes. Car dans ces hommes pieux, comme dans ces artistes, vit l’esprit éternel et toujours en mouvement de la religion et de l’art, et ils obligent les autres, même si c’est lentement et graduellement, à les suivre, et au moins à reconnaître comme forme et autorité ce qu’ils ne peuvent recevoir comme esprit. Mais beaucoup, parmi la foule, reçoivent un rayon de l’esprit, et en réchauffent leur vie froide » (The Hibert Journal 10 70).

La religion homérique occupe une place entre la religion populaire et la religion philosophique ; elle est plus proche de la première, mais la seconde en dépend en partie, tout comme tous les genres littéraires grecs sont redevables à l’épopée .

RELIGION POPULAIRE

Les traits caractéristiques de la religion populaire sont (1) la foi dans la puissance et l’omniscience des dieux – rien ne peut être réalisé sans eux ; on les consulte sur toutes les questions douteuses (ex, Zeus à Dodone) ; (2) la confiance dans le dieu bien servi ; (3) la gratitude pour les dons qu’il envoie ; (4) l’amitié φίλος est un mot favori d’Euripide et de Théocrite) et même l’intimité avec lui ; (5) une atmosphère de joie et de fête qui entoure le culte, un  » répit  » dans la dure routine de la vie quotidienne (cf. Platon, Lois 2.653C-D, 654A ; Festugière,  » Aspects… « , 20-21, 23-24, 26-27).

Les dieux olympiens étaient honorés dans un esprit d’allégresse (cf. Platon, Epin. 980B), tandis que les divinités chtoniennes (les inferi des Latins) inspiraient avant tout la crainte et avaient leurs propres rites particuliers (cf. Platon, Lois 828C). Chaque catégorie avait en conséquence son rituel correspondant, l’un de service et l’autre d’aversion.

La religion homérique. Les dieux de l’Iliade, et leurs homologues, personnages plus hautement conçus, de l’Odyssée, composent déjà le panthéon de l’Olympe, qui conserve ses adorateurs jusqu’à la fin du paganisme ; et les principales formes de sacrifice et de prière sont de même établies dès Homère. La morale homérique, moins étroitement liée à la religion que dans d’autres systèmes, juxtapose des concepts élevés – l’honneur, l’hospitalité, la solidarité du genos ou du clan – et des idées et pratiques qui sont des vestiges de la barbarie.

Zeus. Dans le polythéisme hellénique, le dieu suprême est appelé Zeus. Il est une combinaison du Zeus crétois, dieu de la fertilité, et du dieu indo-européen du ciel et de la foudre, conciliant ainsi la religion égéenne, le culte du soleil des agriculteurs indigènes et le culte du ciel des conquérants aristocrates. Il est le « père des dieux et des hommes ». En tant que père des dieux, il est comme un patriarche parmi les siens, la divinité souveraine à laquelle tous les autres vouent un profond respect. Il est aussi le père des hommes, bien que l’Iliade oppose la race des hommes à celle des dieux (5.441-442), et que Pindare fasse de même au début de l’Ode néméenne 6.

Mais à toutes les époques, les Grecs ont eu tendance à se rapprocher de leurs dieux ou à rapprocher leurs dieux d’eux-mêmes. Ce double mouvement produit soit un anthropomorphisme, soit une tendance à la perfection. Entre l’homme et la divinité, l’assimilation pouvait s’opérer dans deux directions, de haut en bas ou de bas en haut. Dans le cas des Grecs de l’époque homérique, elle s’opère de bas en haut ; ils façonnent des dieux à l’image de l’homme, avilissant la divinité en lui attribuant les crimes des hommes et les justifiant ainsi. Mais l’origine de l’anthropomorphisme se trouve aussi dans le sentiment de parenté avec Dieu :  » L’anthropomorphisme implique le théomorphisme  » (cf. Adam, Vitalité du platonisme, 124). La solidarité de la famille en Grèce, fortement soudée par la conception du genos ou clan, favorisait l’idée d’une intimité avec Dieu qui allait jusqu’à la ressemblance. L’idéal des parents étant d’avoir des enfants qui leur ressemblent (cf. Hésiode, Œuvres 182 et 235), la parenté avec la divinité s’exprimerait nécessairement par une ressemblance.

Autres dieux. Outre Zeus, deux déesses occupent des positions dominantes, Héra dans l’Iliade et Athéna dans l’Iliade et l’Odyssée. Héra ne cesse de rappeler à Zeus qu’il a accepté de laisser Troie être détruite. Son affection pour les Achéens n’est pas altérée par leurs querelles ; elle aime autant Agamemnon qu’Achille (Iliade 1.196-209). Héra, déesse argive, apparaît à l’époque féodale comme la consœur du Père des Dieux et la protectrice du mariage. Son union sacrée (hiérogamie) avec Zeus, qu’une métope d’un des temples de Selinus (Sicile) représente sous l’aspect de son dévoilement, consacre le mariage du Ciel et de la Terre. Athéna aide Achille à se maîtriser, et en décrivant son rôle dans l’Iliade, qui est un peu celui de la grâce au sens chrétien, on pourrait construire un tableau des plus hautes étapes de la vie psychologique. Mais c’est surtout dans l’Odyssée que l’assistance pleine de sollicitude qu’elle apporte à Ulysse permet au poète de lui attribuer les sentiments, les pensées et les conseils les plus nobles, bien plus élevés que les interventions capricieuses des dieux de l’Iliade en faveur ou contre un personnage humain déterminé.

Les autres divinités homériques du panthéon antique sont : Poséidon, maître de la mer ; Hadès, roi du monde inférieur ; Déméter, également divinité chtonienne, la Terre-Mère ; Artémis et son frère Apollon,  » maîtres des bêtes  » (πότνιοι θηρν), grands protecteurs des Troyens ; Hermès, le dieu berger qui multiplie les troupeaux, dieu des voyageurs, et guide des âmes qu’il conduit à Hadès (ψυχοπομπός).

Apollo est également le frère de Dionysos. Ces deux dieux étrangers relativement récents représentent deux aspects de la religion grecque, dont la différence a souvent été exagérée. En réalité, les dévots d’Apollon, à commencer par la Pythie de Delphes, passent par des états de transe ou d’extase qui relient son culte à celui de Dionysos et expliquent la réconciliation finale des deux frères et leur association à Delphes. Il n’est pas possible d’opposer le dionysiaque à l’apollinien – pour reprendre la terminologie de Nietzsche – de telle sorte que l’élément apollinien ne contienne pas les germes de son contraire. Le rationnel et l’irrationnel ont toujours coexisté. La religion d’Apollon, avec ses observances rituelles et ses maximes, peut se rapprocher du légalisme juif, mais le mouvement mystique dépend davantage du culte de Dionysos, bien que les bacchants ne se considèrent pas comme exaltés ou spirituellement régénérés. La pensée religieuse des Grecs a toujours oscillé entre le sentiment de la condition humaine, au-delà des limites de laquelle il n’était pas possible de s’élever, et l’assimilation à Dieu, but des philosophes et des mystiques. Un sage comme Empédocle était une combinaison des deux et, comme le dit E. R. Dodds (156), la double foi « orphique » en la métempsycose et en une offense originelle concilie « le sentiment « apollinien » d’éloignement du divin et le sentiment « dionysiaque » d’identité avec lui. »

Destinée. Chez Homère, Zeus tend à se confondre avec le destin, qui est appelé μορα, μόρος, ασα littéralement  » partie, portion  » . Le destin et la divinité, s’ils sont souvent indépendants ou juxtaposés, peuvent entrer en conflit ; parfois les dieux sont subordonnés au destin, mais beaucoup plus fréquemment le destin exprime leur volonté, Διòς ασα. Une scène comme la pesée des lots (ou des âmes, psychostasie ), qui précède la mort d’Hector, fournit un bon exemple de l’interpénétration de la volonté personnelle de Zeus et de la force anonyme qui préside aux destinées des hommes (Iliade 22.209-). L’idée homérique du destin peut être clairement comprise dans le long travail de synthèse qui a produit la religion homérique dans sa totalité. Dans les poèmes homériques, il n’y a pas simplement un compromis entre le concept de destin et le concept de puissance divine, car l’idée même de destin est une idée de compromis.

Prière. Les prières que l’on trouve dans « Homère sont ordinairement formulées et traditionnelles. Celles de Chrysès dans le bk. 1 de l’Iliade contiennent les trois parties essentielles de toute prière liturgique en Grèce : (1) invocation du dieu,  » écoute-moi  » (κλθί μευ, 1.37, 451) ; (2) raisons d’être entendu : sacrifices offerts, services rendus, faveurs déjà obtenues ; (3) conclusion : énoncé de la requête. Celles de Diomède à Athéna, dans les bks. 5 et 10, commencent de la même manière : κλθί μοι (5.115), κέκλυθι ἐμεο (10.284). Ulysse, devant Diomède, avait prié dans les mêmes termes (10.278, 282), et Nestor et Achille s’adressent aussi à Zeus de la même manière. Priam (24.108) emploie de nombreuses épithètes ( » Père « ,  » Maître d’Ida « ,  » très glorieux « ,  » très grand « ), selon le style qui deviendra celui de tous les hymnes jusqu’à l’Hymne à Zeus du stoïcien Cléanthe.

Il existe aussi des prières moins officielles, hors de tout rituel et de toute présence sacerdotale, et peut-être plus intimes, comme celles d’Hector (Odyssée 5 ; Iliade 6). Hector prend son fils Astyanax dans ses bras et demande à Zeus et à tous les autres dieux de lui donner une valeur encore plus grande que celle de son père (Iliade 6.474-481). Le naufragé Ulysse fait appel au dieu du fleuve pour lui permettre d’accéder à la rive :  » Écoute-moi, Seigneur, dont je ne connais pas le nom θί] … reçois dans ta pitié, ô Seigneur, le suppliant qui t’appelle  » (Odyssée 5.445-450). Sur la prière homérique et sur la prière grecque en général, voir K. von Fritz, « Greek Prayers », Review of Religion 10 (1945-46) 5-39.

Conclusion. On ne peut refuser un caractère religieux à des poèmes où l’interprétation du monde et de la vie est entièrement religieuse, et où les dieux interviennent dans presque toutes les expériences de la vie physique et psychologique. Si l’on ne peut guère parler d’une morale religieuse chez Homère, il faut reconnaître que le barde antique n’a jamais cessé de mettre l’accent sur le divin, malgré les obscurités ou les éléments sordides de la mythologie qu’il chantait.

RELIGION DES PHILOSOPHÈRES

Si l’on peut grossièrement opposer la religion populaire à celle des  » sages « , il ne s’ensuit pas nécessairement que tous les philosophes aient professé la même religion. Leur croyance en un principe unique, qui tendait au monothéisme, prenait des formes diverses, et chez la plupart d’entre eux, elle n’excluait pas un résidu de foi dans les dieux traditionnels. D’autre part, le terme « philosophe » est utilisé ici dans un sens très large. À l’origine, le terme  » sage  » (σοφός) s’appliquait aux poètes. Ceux-ci avaient parfois une théologie – si Hésiode ou Pindare ne l’ont pas fait, probablement au moins Euripide et certainement Eschyle l’ont fait.

Eschyle. Eschyle a développé à la perfection l’idée d’une morale à la fois divine et humaine. L’idée avait été élaborée par Hésiode dans ses Travaux et Jours et par Solon dans ses Élégies (cf. Solmsen), mais ni Hésiode ni Solon n’ont transféré la justice à l’Olympe. Au contraire, la transformation d’un système de violence en un système de justice divine est le problème qui sous-tend les deux trilogies, Prométhée et l’Orestie. Dans l’Orestie, et en particulier dans la troisième pièce, les Euménides, l’avènement de la justice sur terre dépend des dieux ; la réconciliation des déesses chtoniennes avec les dieux de l’Olympe, comme avec les juges de l’Aréopage, exige l’équité des décrets humains. Le conflit de Prométhée lié, qui oppose un dieu plus ancien, un Titan, au nouveau maître Zeus, montre une tendance au compromis et donne, en outre, la noble leçon que les dieux, comme les hommes, apprennent par la souffrance.

Xénophane et Parménide. Xénophane et surtout Parménide étaient des poètes, mais des poètes-philosophes au sens plein du terme. A Xénophane, la philosophie religieuse doit une conception élevée de la dignité de Dieu, de « ce qui lui convient » (θεοπρεπές) ; à Parménide, l’idée d’une existence inconditionnée de l’être sur laquelle les épithètes, prodiguées comme dans un hymne, sont celles accordées à l' »Infini » (ἄπειρον) par Anaximandre, « non engendré », « sans mort », « sans commencement ni fin. » L’attitude de Parménide à l’égard de l’Être est véritablement une attitude religieuse. Même si cet Être n’est pas un Dieu personnel, il est divin, comme plus tard la forme platonicienne du Bien.

Plato. D’un esprit éminemment religieux, Platon professe à la fois : (1) la religion traditionnelle, (2) une philosophie religieuse, et (3) une religion astrale.

Adhésion à la religion traditionnelle. Quelle que soit l’importance d’un élément « orphique » ou « pythagoricien » dans les mythes platoniciens, qui sont pour la plupart eschatologiques, Platon, à partir de son Euthyphro, mais surtout dans sa République et les Lois, révise les croyances et la mythologie traditionnelles. Dans tous ses écrits, sans rompre avec l’héritage de ses ancêtres, « le conglomérat hérité » (G. Murray), il purifie les légendes, trop souvent immorales, pour leur redonner un sens religieux. Platon était scandalisé par la négation de l’existence des dieux, par la négation de la Providence (les dieux existent, mais ils ne s’intéressent pas aux affaires humaines), et par les tentatives de corruption des dieux (ils s’occupent des hommes, mais ceux-ci peuvent les acheter et les séduire par des sacrifices et des offrandes). C’est la triple impiété dénoncée par Adimantus dans le bk. 2 de la République (365D-E), et réfutée dans les Lois, bks. 10 (888A-D ; cf. 885B) et 12 (948C), et dans l’Epinomis (980D). Platon en voulait moins aux dieux de la mythologie qu’aux fables qui les défiguraient, comme la mutilation d’Uranus et autres horreurs (Euthyphro 5E-6C ; Rep. 2.377E-378E). Le culte lui-même n’est pas condamné. Au contraire, Platon, comme Socrate, semble l’avoir accepté de bonne foi au même titre que les noms des dieux. A cet égard, il disait :  » Il faut se conformer à la loi  » (Tim. 40E), et ce d’autant plus  » que les hommes ignorent le vrai nom des dieux  » (Crat. 400D-E).

Parmi tous les dieux olympiens, Socrate et Platon vénéraient le plus Apollon. Son importance, si marquée dans l’état idéal de Platon, augmentait encore dans la cité « apollinienne » des Lois. Dans les deux cas, l’ordre suivant régit le culte : (1) les Olympiens, (2) les divinités chtoniennes,(3) les démons (δαίμονες), (4) les héros (cf. Lois 4.717A-B). Les démons, qui étaient au-dessus des héros, servaient d’intermédiaires entre les dieux et les hommes, comme le montrent des récits concordants dans le Banquet (202E) et dans l’Epinomis (984E-985A).

Philosophie religieuse. La philosophie religieuse de Platon est fondée sur la relation de l’âme aux Formes – une relation qui implique l’immortalité de l’âme. La métempsycose et la réminiscence, qui découle de la métempsycose, postulent une vie antérieure où l’âme a contemplé les Formes. Sur terre, unie à un corps, que le pythagorisme représente comme une prison, l’âme conserve une nostalgie de l’autre monde où elle vivait comme dans sa véritable famille. En effet, la relation spirituelle, συγγένεια, est à la fois le fondement du culte des dieux et de la connaissance intuitive des Formes. Pour indiquer les étapes de la connaissance religieuse, quatre étapes sont différenciées dans la République : l’opinion, la foi, la connaissance raisonnée et l’intelligence pure (bk. 6 fin, bk. 7) ; et au terme du processus dialectique dans l’épître 7, le degré supérieur de l’intelligence qui appréhende l’objet réel est de même la connaissance intuitive.

L’être éternel, perpétuellement le même, est saisi par l’intellect et le raisonnement, tandis que le devenir est l’objet de l’opinion combinée à la sensation irraisonnée. Cet être éternel est-il Dieu ? La Forme du Bien n’est jamais identifiée à Dieu par Platon, même si elle possède des attributs divins. Cette Forme,  » qui donne aux objets de la connaissance leur essence et leur être, sans être elle-même essence, est encore au-dessus de l’essence en puissance et en dignité  » (Rep. 6.509B), apparaissant parfois même supérieure à Dieu, qui ne fait que la contempler et l’imiter dans ses opérations. Si l’on s’en tient à la lettre des textes, « il n’en reste pas moins que Platon lui-même n’a jamais appelé le Bien un dieu….. La raison en est peut-être qu’il n’y a jamais pensé comme à un dieu. Et pourquoi, après tout, une Idée devrait-elle être considérée comme un dieu ? Une Idée n’est pas une personne ; ce n’est même pas une âme ; au mieux, c’est une cause intelligible, beaucoup moins une personne qu’une chose  » (Gilson, 26).

La religion astrale. Vers la fin de sa vie, peut-être sous l’influence d’un associé chaldéen de l’Académie, Platon semble s’être converti à la religion astrale. Ayant admis autrefois, et dès son Phèdre, que le mouvement est causé par une âme, rien ne l’empêchait d’identifier les dieux de l’Olympe avec les âmes du soleil, de la lune, des planètes et des autres corps célestes. Cette doctrine, que l’on retrouve dans le Timée et dans les Lois, a été développée dans l’Epinomis (par exemple, 982B-E). De même que les Grecs savent embellir et porter à la perfection tout ce qu’ils reçoivent des barbares, de même les oracles de Delphes leur apprendront à honorer ces nouveaux dieux avec un soin qui surpassera celui que leur accordent leurs adorateurs orientaux (987E-988A).

Bien que fidèle à la religion traditionnelle jusqu’à sa conversion, Platon introduit néanmoins la religion astrale dans tout le cadre de sa cité idéale, soucieux seulement de l’établir en conformité avec les oracles de Delphes. Le culte des astres va ainsi coexister avec celui des Olympiens, même s’il va peu à peu supplanter ce dernier. Pour Eusèbe (Dem. evangel. 4.9, 10-11), le culte des astres n’est pas éloigné du monothéisme et pourrait bientôt conduire à l’origine pure et véritable des choses. Il restait cependant une différence essentielle entre l’attitude du Juif, qui voyait dans le corps céleste une création du Dieu unique, et celle de Platon, qui adorait l’étoile elle-même comme un dieu. Il y avait toujours un obstacle pour les Grecs, à savoir qu’ils avaient tellement de dieux qu’il était pratiquement impossible qu’un monothéisme exclusif prenne racine parmi eux. Ce qu’il faut retenir au moins, c’est qu’il y avait une très forte tendance au monothéisme, même si elle n’a pas atteint un plein développement. Elle est restée un polythéisme orienté à certains égards vers le seul vrai Dieu.

Les stoïciens. Par rapport à leurs prédécesseurs, les stoïciens soulignent au moins les apparences d’un monothéisme. Dieu est la raison universelle présente partout. Les hommes, qui possèdent chacun une particule de cette raison divine, doivent se considérer comme des frères. En revanche, ce Dieu n’admet ni temples ni statues ; son véritable sanctuaire est le ciel rempli d’étoiles. Si Zénon rejette ainsi le polythéisme, ce n’est guère par sentiment d’intimité avec Dieu. Ce sentiment est plus évident dans l’Hymne à Zeus de Cléanthe (si bien commenté par Adam dans sa Vitalité du platonisme, 108-189) ; Zeus y est présenté non seulement comme le maître de la nature, mais comme un père qui sauve les hommes de l’ignorance fatale des biens véritables. Dans son sentiment religieux comme dans sa qualité poétique, l’hymne de Cléanthe anticipe Epictète, le rossignol et le cygne de Dieu (Diatribes 1.16.20-21). Pour Épictète plus encore que pour Platon, la religion philosophique s’exprime par une piété filiale dont les principaux éléments sont peut-être (1) la soumission à la volonté de Dieu, (2) la fierté de sa condition d’homme, et (3) le sentiment de sa filiation divine. La sagesse du consentement, qui résume au début le stoïcisme, se transforme avec Cléanthe en prière, et avec Épictète elle s’élève à la hauteur d’une doctrine mystique. Ce qui lui manque, c’est la compréhension de la faiblesse et du péché humains, le sens de la misère humaine ; Platon avait un plus grand sens de notre misère, du moins dans les Lois. Aucun philosophe grec, pas plus que les Grecs en général, n’avait une conception claire du péché au sens judéo-chrétien.

Voir aussi : religion créto-mycénienne ; Delphes, oracle de ; philosophie grecque (aspects religieux) ; religions à mystères, gréco-orientales ; sacrifice.

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